vendredi 14 septembre 2007

Les nonnes

La vie cloitrée n'est pas si désagréable d'après Clovis Trouille.

Il fût un temps où il était question d'aller faire une retraite chez les nonnes.

sans le pauvre B... bien sûr.



Rêve claustral


Je vous connais comme elle, ô murs, travail des nonnes,
Préaux fleuris d'amours furtifs, silencieux
Parloirs, où, par la nuit, l'âme des lunes bonnes
Se distille, rosée errante de leurs yeux ;


Cour grise où tourne le soulier lacé des grandes,
Cachant sous de longs cils des yeux endoloris,
S'imaginant, le soir de mystiques offrandes,
Causer dans leurs rideaux avec de purs esprits.


Je vous ai vus, ô lents tours noirs où les plus braves
Rentrent avec l'effroi du parler patelin ;
Et je vous aime aussi, novices, pour les graves
Désirs tapis aux plis de vos jupes de lin.


Dortoirs religieux, vous me bercez comme elle :
Là, le sommeil est le seul des péchés permis,
Et l'on entend monter, bouffonne et solennelle,
Leur jeune haleine aux dents des anges endormis.


Je vous adore, froid parfum des sacristies,
Chœur d'agate où le jour, sous un rideau sanglant,
Voit éclore parmi la danse des hosties,
Le rêve violet d'un doux évêque blanc ;


Chapelle de soupirs, grille, ombre jalouse
Où la pensionnaire aux essors fabuleux
Reluque avec le cœur d'une petite épouse
Un séraphin charmant, pâle au fond des cieux bleus ;


Prises de voile, où la vierge, en des frissons vagues,
Sur l'autel, dont la marche a sacré ses genoux
Écoute sa toison, qui va fleurir en bagues,
Choir sous les ciseaux saints, terrifiants et doux.


Études du soir, pleurs des cellules, tonnelle
Où la chère mère a coutume d'attirer
Sur ces deux seins sanglés de bure une belle enfant :
Obscures amitiés dont Jésus doit pleurer !


Celle qu'avec le nard pudique d'un roi mage
J'encense dans mon cœur se meurt là ; j'ai pu voir
Ses yeux, lampes d'amour où brûle mon image,
Et je m'en suis allé, bien ivre… un certain soir !…


Ô toi qui vit dans ces solitudes de femme
Et qui n'as dû garder de ton été premier
Qu'à peine assez de corps pour contenir une âme,
Colombe en route pour l'éternel colombier ;


Cieux choisis d'où l'on voit pleuvoir encor des mannes
Et descendre sur les fronts des langues de feu,
Ma bouche - en vous rêvant - faite aux argots profanes,
Bégaie une oraison : je me trompe avec Dieu.

Vergers mûrs où la sainte a le respect des mouches,
Cours grises, encensoirs berceurs, avents jeûnés,
Vers vous - comme à vos pieds, chères saintes nitouches -
Je m'agenouille avec la larme des damnés.


Germain Nouveau (1851-1920)