samedi 12 janvier 2008

Cinéma

1 - L'épouvantail (scarecrow)

J'ai oublié de vous parler d'un autre bon film, l'épouvantail dans le style "road movie" typiquement américain.

Voici une critique de ce film palme d'or du festival de Cannes 1973.

Palme d’or méconnue (1973), L'Épouvantail n’est pas seulement une belle histoire dotée d’une conscience politique. C’est aussi un grand film de cinéma, dont la remarquable mise en scène tire le meilleur parti du talent de ses comédiens. Un petit chef-d’œuvre. Emouvant et intelligent.


Pour survivre, les hommes ont besoin d’un rêve, aussi dérisoire soit-il. En peignant l’Amérique des exclus grâce à une succession de petites scènes, vécues ou racontées, Jerry Schatzberg dessine une société fondée sur la violence. En toute logique, c’est au bord de la route que Lion (Al Pacino) rencontre Max (Gene Hackman) dans une ouverture aux couleurs de western qui évoque clairement les origines du mythe US. Dans chaque paysage (urbain, desert, chemin de fer, etc.), la réalisation révèle, à l’horizon, les lignes de fuite que ses deux petites frappes seront bientôt obligées de suivre. Mis au ban d’une société où la violence physique est l’unique réponse au sentiment d’injustice, leur route ne peut pourtant mener qu’à une impasse.

Cette dimension politique aurait pu suffire. Elle est, en plus, sublimée par la magnifique interprétation d’Al Pacino, inventif et malin, et de Gene Hackman, ours mal léché plus tendre qu’il n’y paraît. Bien sûr, en « faisant la route » ensemble, vers l’Est, à l’envers d’un rêve américain qui leur échappe, ils apprendront à se connaître. Et si le schéma du duo mal assorti est un grand classique dont on peut se méfier, l’art et la manière de le mettre en scène, en fait un récit unique dont la puissance émotionnelle reste intacte 35 ans plus tard. Celle-ci culmine dans la scène de la fontaine où l’angoisse naît de l’intrusion de sons discrètement discordants et d’une image qui se resserre peu à peu sur les visages sculptés d’anges menaçants. Audacieux et terrifiant baptême final qui fait écho, sans porter de jugement, au discours religieux et culpabilisant qui précède.

Dans ce magnifique hommage à l’Amérique des damnés, la métaphore de l’épouvantail (faire rire plutôt que peur) résume joliment le point de vue d’un réalisateur qui semble toujours croire en l’homme et en sa capacité de changement. Malgré tout. A (re)découvrir de toute urgence.

L'Épouvantail
De Jerry Schatzberg
Avec Al Pacino, Gene Hackman
Sortie en salles le 14 novembre 2007 (reprise)

2 - La visite de la fanfare

Autre bon film, israelien.

Voici la critique de l'humanité

En attendant la paix…
Un film entre tendresse et causticité, pour aborder les sujets graves à touches légères.

La visite de la Fanfare

d’Eran Kolirin. Israël. 1 h 30.

C’est d’abord, dans l’aéroport de Tel-Aviv, quelques personnages surréalistes et un gros ballon jaune. Lorsque ce dernier est balancé hors-champ, se dévoile un équipage d’hommes en uniformes bleu drapeau, épaulettes alignées au cordeau. La fanfare de cérémonie de la police d’Alexandrie se rend en Israël pour une série de concerts, à l’occasion de l’inauguration d’un centre culturel arabe. Personne n’est là pour accueillir les musiciens. Leur chef,Tewfiq (Sasson Gabai), tient d’autant plus à maintenir la pompe de ce voyage que plane sur sa tête la précarité des subventions allouées à sa formation. À la rigidité de son maintien répond une inconséquence qui va le conduire à demander au jeune Khaled (Saleh Bakri) d’aller s’enquérir de leur destination future. Celui-ci, séducteur sans frontières, préfère chantonner un air de Chet Baker à l’employée au travers d’un hygiaphone qui redouble son incompréhension. Et voilà notre fanfare en route vers le mauvais village, lieu desservi par les corbeaux et un unique bus quotidien, quelque part au milieu des sables. Malgré des débuts sans une fausse note, le paysage d’ocres délavées sur quoi se détache notre régiment chamarré, pourrait inquiéter à la perspective d’une partition banale, du type débarquement de martiens avec gags afférents. Mais l’entrée en matière recélait l’intelligence artistique du propos.

En une ligne narrative simple, sans pointes de dramaturgie, le réalisateur Eran Kolirin va se tenir à distance de tous les stéréotypes. « Ici, pas de centre culturel arabe, pas de centre culturel israélien, pas de culture du tout », lancera aux égarés la belle Dina (Ronit Elkabetz) qui tient le café local, sorte de bar de western que décorent des photos de soldats israéliens montant à l’assaut du Sinaï. Tout à la fois sarcastique et chaleureuse, Dina va convaincre Tewfiq d’accepter, ainsi que Khaled, son hospitalité tandis qu’elle va caser le reste de la fanfare chez ses parents et amis plus ou moins consentants. Tout va se jouer dans les quelques heures à venir au gré de rencontres apparemment anodines. Dont personne, pourtant, ne sortira tout à fait semblable à ce qu’il était, ou présentait. L’isolement du village contraint ses habitants à la répétition de l’ennui, au manque de travail et d’occasions amoureuses, à la lassitude des promesses non tenues, mais les éloigne avantageusement du cynisme des discours officiels et des fascinations urbaines. Dina n’a pas peur de la guerre mais craint de vieillir seule et si ses fantômes peuvent parfois prendre les traits d’Omar Sharif, ceux qui hantent Tewfiq les tiennent peut-être par la main dans un territoire que leurs solitudes partagent. Et leur commun idéalisme se planque chez elle derrière des manières de divorcée affranchie propres à déconcerter ce chef d’orchestre coincé dans des principes que démentent les tourments de son coeur. Ainsi de chacun au rythme de multiples cocasseries et autant de nostalgies semées en situations sensibles. Un tout petit enfant endormi dans une chambre bordélique, un repas de famille où l’on se balance les missiles de la trahison par-dessus les oreilles d’invités qui, pour miner les barrières de la langue dégainent Summertime de George Gershwin en offrande de paix, des faits et gestes universels en guise de leçons de drague particulières. Eran Kolirin trouve le juste tempo de sa composition, de la finesse des dialogues à l’intensité des silences, de longues séquences en scènes drolatiques filmées en plans larges. Un régal.