mercredi 21 novembre 2007

La nuit sexuelle



De Pascal QUIGNARD

Magnifique ouvrage à feuilleter et à s'imprégner lentement au fil du temps. (un peu cher, mais bof, le passage sur terre n'est qu'une des nuits entre les nuits utérine et mortelle)

« Comment voyagent les âmes des hommes dès l’instant où elles désirent se remémorer leur source sexuelle ?
Dans la nuit.
Il y a trois nuits.
Avant la naissance ce fut la nuit. C’est la nuit utérine.
Une fois nés, au terme de chaque jour, c’est la nuit terrestre. Nous tombons de sommeil au sein d’elle.
Enfin, après la mort, la nuit qui régnait à l’intérieur du corps se décompose à son tour dans un effacement que nous ne pouvons anticiper. Cette nuit n’a plus aucun sens pour s’aborder. C’est la nuit infernale.
Ainsi y a-t-il une nuit totalement sensorielle qui précède l’opposition astrale du jour et de la nuit. Nous procédons de cette poche d’ombre. L’humanité transporta cette poche d’ombre avec elle, où elle se reproduisit, où elle rêva, où elle peignit. »
Pascal Quignard


Après Le sexe et l’effroi, Pascal Quignard pose l’indicible question des origines.

Pascal Quignard

La Nuit sexuelle
Flammarion
Octobre 07
279 pages / 85 €

Les peintures choisies tentent d’évoquer la nuit sexuelle, celle de la nuit fondatrice, invisible à jamais qui forme le secret des origines. La conception dissimulée de l’être humain entre ces peintures nocturnes, rejoint les amours mythologiques et bibliques.
Des estampes japonaises aux peintures occidentales, les œuvres déploient l’étreinte charnelle, sensuelle et érotique. Les sexes offerts, les peintures légères de Fragonard, les corps lascifs de Girodet, du Corrège, rejoignent les Noli me Tangere.
Pascal Quignard conte les amours et accouplements mythologiques, les filles de Lot enivrent leur père pour prendre sa semence. Les fils de Noé recouvrent le sexe dressé de leur père après une nuit d’ivresse. Hephaïstos surprend l’étreinte d’Aphrodite et Arès. Diane punit Actéon, témoin de sa nudité. Le désir, l’effroi, l’étreinte, le voyeurisme, les enfers suscitent des images qui relatent l’indicible.
Dans la nuit, le désir est camouflé. Psyché dévoile le visage de son époux qu’elle ne reverra jamais. Hero allume depuis une tour une flamme pour appeler son amant. Léandre se précipite au cœur des vagues qui l’emportent.
Mais la nuit est aussi celle de la dernière étreinte avec la mort. « La mort comme la première vie sont toutes deux si étrangement ténébreuses. »
Desiderio, Signorelli, Van der Weyden précipitent les corps en amas de chair souffrants. La nudité est celle de l’effroi. Les corps martyrisés disparaissent dans les flammes des enfers. L’étreinte macabre déshumanise la chair.
Chronos dévore ses enfants dans l’obscurité des mythes fondateurs.

Cette obscurité sensible est celle du livre aux pages noires d’encre, qui met en exergue la sensualité des peintures. Les nuits utérine, terrestre, infernale et mortelle sont les nuits de ce prodigieux ouvrage.
« Aussi les images immémoriales, magdaléniennes, archétypiques, idolâtres, irrésistibles, hallucinantes, involontaires poursuivirent-elles leur vie nocturne au travers des générations de coïts – de millénaires de coïts – qui sont eux-mêmes des images zoologiques sidérantes inlassables.
J’éprouvais une joie inlassable à les collectionner.
Ce livre les rassemble. »
La Nuit sexuelle est un ouvrage érudit. Mythes, poésie, désir, citations et mystères de la peinture convoquent l'imaginaire. Un livre troublant, d'une grande profondeur.
Alexandra Morardet

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